L’interdiction d’attribuer ou d’exécuter des contrats de la commande publique avec la Russie ou comment la commande publique devient un vecteur d’enjeux politiques ?

 

Le règlement (UE) n°2022/576 du Conseil du 8 avril 2022 interdit aux pouvoirs adjudicateurs, entités adjudicatrices et autorités concédantes d’attribuer ou de poursuivre l’exécution d’un contrat de la commande publique avec des opérateurs économiques établis sur le territoire russe.

Ce règlement intervient évidemment dans le contexte international d’agression de l’Ukraine par la Russie et s’ajoute aux sanctions pléthoriques adoptées par l’Union européenne contre cette dernière.

La Direction des Affaires juridiques du Ministère de l’économie, des finances et de la relance a publié une fiche technique sur la mise en œuvre de cette interdiction.

 

Quels sont les contrats concernés ?

 

Le champ d’application concerne les contrats mentionnés à l’article L.2 du code de la commande publique et répondant à un besoin dont le montant est égal ou supérieur aux seuils
européens.

Sont également concernés certains contrats, exclus du champ d’application de cet article L.2 dès lors que leur montant dépasse ces seuils européens. Il en est notamment ainsi :

  • les contrats attribués sur la base d’un droit exclusif ;
  • les concessions de service aérien ;
  • les concessions portant sur la location ou l’acquisition de bâtiments existants ;
  • les contrats de communications électroniques ;
  • les marchés passés à fins de revente ou de location d’eau ou d’énergie à des tiers ;
  • les marchés de services financiers ;
  • les marchés passés avec des entreprises liées ;
  • les marchés destinés aux activités de renseignement.

 

Comment évaluer les liens entre l’opérateur concerné avec la Russie ?

 

Ces contrats ne pourront donc être attribués ou devront être résiliés, dans plusieurs hypothèses :

  • si l’attributaire est un ressortissant russe ou une personne physique ou morale, une entité ou un organisme établi sur le territoire russe ;
  • si l’attributaire est détenu à plus de 50 %, et de ce manière directe ou indirecte, par une entité établie sur le territoire russe ;
  • si l’attributaire est une personne physique ou morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou sur instruction d’une entité établie sur le territoire russe ou d’une entité détenue à plus de 50 % par une entité elle-même établie sur le territoire russe ;
  • si le sous-traitant, le fournisseur ou toute entité aux capacités de laquelle il est recouru se trouve dans l’un des trois cas susmentionnés, et le montant de ses prestations représente plus de 10 % de la valeur du marché.

Cela peut représenter une certaine difficulté pour les autorités contractantes de s’assurer que les opérateurs, candidats ou cocontractants, ne sont pas concernés par ces hypothèses.

 

Quelles sont les exceptions à cette interdiction ?

 

Ils existent plusieurs exceptions à cette interdiction et il sera donc possible d’attribuer ou de continuer l’exécution des contrats en cours lorsque ces contrats sont relatifs :

« a) à l'exploitation, à l'entretien, au déclassement et à la gestion des déchets radioactifs, à
l'approvisionnement en combustible et au retraitement du combustible et à la sûreté des capacités nucléaires civiles, et à la poursuite de la conception, de la construction et du déclassement exigés pour la réalisation d'installations nucléaires civiles, ainsi qu'à la fourniture de matériaux précurseurs pour la production de radio-isotopes médicaux et d'applications médicales similaires, de technologies critiques pour la surveillance des rayonnements dans l'environnement, et à une coopération nucléaire civile, en particulier dans le domaine de la recherche et du développement ;

  1. b) à la coopération intergouvernementale dans le domaine des programmes spatiaux ;
  2. c) à la fourniture de biens ou de services strictement nécessaires qui ne peuvent être fournis que par les personnes visées au paragraphe 1 ou qui ne peuvent l'être qu'en quantités suffisantes ;
  3. d) au fonctionnement des représentations diplomatiques et consulaires de l'Union et des États membres en Russie, y compris les délégations, les ambassades et les missions, ou d'organisations internationales jouissant d'immunités conformément au droit international ;
  4. e) à l'achat, à l'importation ou au transport de gaz naturel et de pétrole, y compris de produits pétroliers raffinés, ainsi que de titane, d'aluminium, de cuivre, de nickel, de palladium et de minerai de fer depuis ou via la Russie vers l'Union ;
  5. f) à l'achat, à l'importation ou au transport vers l'Union de charbon et d'autres combustibles fossiles solides jusqu'au 10 août 2022.».

Il y a également une exception générale pour la fourniture de biens ou de services strictement nécessaires qui ne peuvent être fournis que par les personnes en question ou qui ne peuvent l'être qu'en quantités suffisantes.

 

Quelle est la sanction du non-respect de cette interdiction ?

L’acheteur qui continue l’exécution ou procède à l’attribution d’un marché sans autorisation des autorités compétentes encourt les sanctions prévues au paragraphe 1 bis de l’article 459 du code des douanes, lequel précise les dispositions répressives prévues à l’article 8 du règlement précité.

Ces sanctions consistent notamment en « [...] une peine d'emprisonnement de cinq ans, de la confiscation du corps du délit, de la confiscation des moyens de transport utilisés pour la fraude, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction et d'une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l'infraction ou la tentative d'infraction. ».

Toutefois, les actions entreprises par des personnes physiques ou morales, des entités ou des
organismes n'entrainent pour eux aucune responsabilité de quelque nature que ce soit, dès lors qu'ils ne savaient ni ne pouvaient raisonnablement soupçonner que leurs actions méconnaîtraient les sanctions.

 

Il est intéressant de constater que la commande publique est utilisée comme vecteur d’enjeux politiques.

Pourtant, la commande publique reposait sur le principe de neutralité qui imposait que « la dépense publique qui s’effectue à l’occasion d’un marché ne doit pas être l’instrument d’autre chose que de la réalisation du meilleur achat au meilleur coût »[1].

Ce principe de neutralité est aujourd’hui aménagé, peut-être au point tel qu’il aurait disparu.

 

A ce titre, il convient de rappeler l’évolution très récente de la loi « climat et résilience »[2] qui a introduit un article L.3-1 dans le code de la commande publique[3] qui impose notamment une obligation de prise en compte d’objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale[4].

Par ailleurs, il faut également évoquer les propositions de la plupart des candidats à l’élection présidentielle qui souhaitaient avoir la possibilité de favoriser une entreprise locale[5].

Par ces exemples, il est possible de constater une politisation de la commande publique ou, à tout le moins, une prise en compte d’enjeux sociétaux. Ce règlement en est une nouvelle preuve.

 

Dès lors il convient de se demander quelles seront les limites à une telle politisation de la commande publique.

 

Alexandre Blanco

 

 

 

[1] Gaspard Lebon, Loi « climat et résilience » : révolution verte ou « greenwashing » de la commande publique ? Hebdo édition publique, septembre 2021

[2] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[3] La commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale, dans les conditions définies par le présent code.

[4]Article 35 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

[5] Pour un exemple : Victor Tribot Laspière, Présidentielle : commande publique, baisse de la TVA, les mesures de Yannick Jadot pour "acheter Français", mars 2022