Existe-t-il un délai raisonnable, assurant la sécurité juridique, pour contester la validité d’un contrat administratif qui n’a pas fait l’objet des mesures de publicité appropriées ?
Cour administrative d'appel de Douai - 2ème chambre - 30 novembre 2021 / n° 19DA02741
Par une décision en date du 30 novembre 2021, la cour administrative d’appel de Douai a rejeté le recours dirigé contre le jugement n°1706673 du tribunal administratif de Lille qui avait retenu l’extension du « délai raisonnable », issu de la décision Czabaj, au recours dit « Tarn et Garonne » pour rejeter le recours de la société requérante pour tardiveté. Toutefois, si la cour administrative d’appel rejette l’appel en retenant également la tardiveté, elle ne se fonde pas sur la jurisprudence Czabaj.
Serait-ce la fin de la multiplication des déclinaisons de la jurisprudence Czabaj ?
Pour rappel, la décision Czabaj empêche que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative qui n’a pas fait l’objet des mesures de publicité appropriées.
En principe, si ces mesures n’ont pas été respectées, le code de justice administrative fait obstacle à ce que les délais contentieux (en principe de deux mois) soient opposables à un recours juridictionnel (article R.421-5 CJA). Très concrètement, cela signifiait que le délai de recours ne débutait jamais et que la décision administrative était indéfiniment contestable.
Toutefois, par la décision précitée en date du 13 juillet 2016 (CE, Ass., 13/07/2016, 387763, Publié au recueil Lebon), le Conseil d’Etat a imposé, dans cette hypothèse, que le recours juridictionnel soit introduit dans un délai raisonnable ; sauf circonstances particulières, ce délai raisonnable est d’un an.
Cette solution a été dégagée par le juge dans un objectif de préservation de la sécurité juridique, au titre, notamment, de la prévisibilité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps.
Cette décision a ensuite été déclinée à plusieurs contentieux, dont, principalement[1] :
- aux autorisations d'urbanisme (CE, 9 nov. 2018, n° 409872) et à la décision mettant en œuvre le droit de préemption (CE, 16dé 2019, n° 419220) ;
- pour les recours en excès de pouvoir exercés contre les décisions non réglementaires dites d’espèce et aux décisions implicites prises sur recours gracieux. (CE, 25 sept 2020, n°430945)
- en matière de titres exécutoires (CE, 9 mars 2018, n° 401386) ;
- en matière fiscale, au recours contre la décision implicite de rejet d'une réclamation relative au recouvrement d'une créance fiscale (CE, 13 nov. 2020, n° 427275) et au titre du rejet d'une réclamation (CE, avis, 21 oct. 2020, n° 443327) ;
- aux décisions implicites de rejet relevant du plein contentieux (CE, 3 juin 2020, n° 428222) ;
- à l'autorisation de licencier un salarié protégé (CE, 28 mars 2018, n° 410552).
Cependant, le juge administratif a exclu l’application de la décision Czabaj notamment au recours de plein contentieux tendant à l’engagement de la responsabilité d’une personne publique (CE, 7 juin 2019, n°413097) car la sécurité juridique est assurée par la prescription quadriennale, prévue par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics.
Dans la présente affaire, se posait la question de savoir si ce délai raisonnable d’un an pouvait s’appliquer au recours dit « Tarn et Garonne ».
Pour rappel, ce recours, dégagé par la décision du Conseil d’Etat du 04 avril 2014 (CE, Ass., 4/04/2014, 358994, publié au recueil Lebon) organise un nouveau recours pour tout tiers à un contrat administratif, susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou certaines de ses clauses. Ce tiers sera recevable à former, devant le juge administratif, un recours de pleine juridiction contestant la validité même du contrat ou certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.
La Haute juridiction de préciser que ce recours doit être exercé dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées. A titre d’exemple, la publication d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation, sans mention de la date de conclusion du contrat, est sans incidence sur le délai de recours, qui a commencé à courir à compter de cette publication (CE, 03 juin 2020, 428845).
Ainsi, à l’intersection des décisions Czabaj et Tarn et Garonne, existe-t-il un délai raisonnable, assurant la sécurité juridique, pour contester la validité d’un contrat administratif qui n’a pas fait l’objet des mesures de publicité appropriées ?
Comme il a été rappelé précédemment, le tribunal administratif de Lille avait répondu par l’affirmative et avait donc étendu la décision Czabaj au recours Tarn et Garonne.
Cette décision a été frappée par un appel et si la cour administrative d’appel de Douai a rejeté la requête, elle ne s’est pas fondée sur le délai raisonnable d’un an, mais sur le délai de deux mois retenu pour le recours en validité contre le contrat administratif :
« Il résulte de l’instruction que si la communauté urbaine de Dunkerque et la commune de Dunkerque n’ont procédé à aucune mesure de publicité mentionnant la conclusion du contrat et ses modalités de consultation, la société Berobe a été destinataire, par courriel du 26 août 2016 produit à l’instance et ainsi qu’elle le reconnaît dans ses écritures, d’une copie intégrale du protocole d’accord signé le 14 mars 2016 avec la société Vinci Immobilier. Cette convention, conclue entre deux personnes publiques et une personne privée en vue de réaliser une opération d’aménagement constitutive d’une mission de service public, revêt le caractère d’un contrat administratif, comme il ressort des termes mêmes de la réponse faite le 7 mars 2016 par le président de la communauté urbaine de Dunkerque à la demande de la société requérante tendant à obtenir la communication de ce protocole. Il suit de là que la société Berobe ne pouvait ignorer la nature administrative de ce contrat et qu’elle n’est pas fondée à se prévaloir de la circonstance particulière de ce qu’elle aurait été induite en erreur par l’administration sur la nature du recours qui lui était ouvert pour en contester la validité. Dès lors, le délai de deux mois dans lequel la société requérante pouvait exercer un recours en contestation de la validité de ce contrat administratif avait expiré le 27 octobre 2016. Par suite, la société Berobe n’est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Lille a rejeté, comme étant irrecevable, son recours, enregistré au greffe de ce tribunal le 27 juillet 2017, contestant la validité du protocole d’accord signé le 14 mars 2016 entre la communauté urbaine de Dunkerque, la commune de Dunkerque et la société Vinci Immobilier. ».
Quelles conclusions en retenir ?
Principalement, aucune décision des juridictions administratives ne s’est donc expressément positionnée sur la question qui nous intéresse, de l’application de la décision Czabaj au recours « Tarn et Garonne ».
Toutefois, si la cour administrative d’appel n’a pas expressément pris position, alors même qu’elle avait la possibilité de le faire, au regard de la solution retenue par le tribunal administratif, il est possible de retenir, a contrario, qu’elle répond par la négative.
D’ailleurs, le rapporteur public avait conclu que la décision Czabaj ne s’appliquait pas au recours « Tarn et Garonne ».
Il conviendra donc d’attendre une décision du Conseil d’Etat sur cette affaire, si un pourvoi en cassation a été formé, ou d’attendre une autre espèce pour avoir une réponse précise à cette question.
Il n’en demeure pas moins que, pour les opérateurs économiques et les collectivités publiques, si le juge administratif venait à ne pas appliquer le délai raisonnable d’un an pour le recours en validité d’un contrat administratif, un risque contentieux demeurerait important pour des situations consolidées par l'effet du temps et le principe de sécurité juridique, sur lequel se fonde le Conseil d’Etat dans sa décision Czabaj, ne se verra pas assuré. Cette solution serait contre-intuitive dans la mesure où un contrat, administratif ou non, est un instrument de sécurisation des rapports futurs.
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[1] : H. Pauliat, « Czabaj, 5 ans déjà ! », in La Semaine Juridique - Administrations et collectivités territoriales, n° 29 - 19 Juillet 2021, p. 2240.