Les maires courent-ils un risque pénal à organiser les régionales en pleine crise sanitaire ?
Les maires peuvent-ils être pénalement répréhensibles en cas de contamination et de mort de l'un ou plusieurs de leurs administrés ? CLEMENT MAHOUDEAU / AFP
LA VÉRIFICATION - Plusieurs édiles redoutent les risques auxquels ils pourraient s'exposer en cas de contamination de leurs administrés en marge du scrutin de juin prochain. Peuvent-ils être inquiétés ?
LA QUESTION. Il y a quelques jours, les maires de France ont été consultés par le gouvernement, qui souhaitait connaître leur avis sur la tenue des élections régionales et départementales au printemps prochain. Au total, 56% se sont prononcés en faveur du maintien du scrutin, qui se tiendra finalement les 20 et 27 juin, l'exécutif ayant décidé de retarder les deux tours d'une semaine.
À LIRE AUSSILes députés votent massivement pour le maintien en juin des régionales et départementales
Certains maires se sont toutefois interrogés sur leur responsabilité pénale en cas de contamination de certains de leurs administrés au moment du vote. Quelques élus ont même évoqué l'article 121-3 du Code pénal, relatif à la mise en danger délibérée de la personne d'autrui. En cas de décès d'un ou plusieurs habitants de leur commune qui auraient contracté le coronavirus lors des élections, les maires peuvent-ils être tenus pour responsables ? Courent-ils un risque pénal à organiser ce scrutin en dépit de la crise sanitaire ?
VÉRIFIONS. L'article 121-3 du Code pénal précise qu'il peut y avoir délit «en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement». Mais selon Louis le Foyer de Costil, avocat en Droit public au barreau de Paris, il y a peu de chances pour qu'un élu puisse être condamné pour ces motifs dans le cadre de l'organisation de ces élections. «Si le maire fait son travail en prenant en compte les spécificités sanitaires et en respectant les consignes édictées par le gouvernement, il pourrait difficilement être tenu pour responsable», explique l'avocat.
À LIRE AUSSIRégionales: la vaccination des assesseurs interroge les maires
Selon lui, il serait déjà très difficile de prouver qu'une contamination a eu lieu dans un bureau de vote. «S'il y a du gel hydroalcoolique, que les gens sont masqués, que les distances de sécurité sont respectées, je ne vois pas comment on pourrait imputer une quelconque faute au maire», estime le juriste. Un avis que partage Benjamin Ingeleare, avocat en Droit public et spécialiste des contentieux électoraux : «Pour démontrer qu'une personne a été contaminée lors du vote, il faudrait d'abord prouver qu'il y a eu une négligence particulière et que le maire aurait violé de façon délibérée les consignes sanitaires de sécurité», juge-t-il. Ce qui lui paraît plutôt complexe, sauf si l'édile a mis en place ses bureaux de vote avec une «volonté ostentatoire de non-respect des préconisations de l'État», ce qui semble «hautement improbable» à ses yeux.
Une infection massive
Dans l'hypothèse d'une infection massive de Covid-19 après le scrutin, la responsabilité du maire pourrait potentiellement être engagée. «Si plusieurs personnes sont infectées et que des plaintes sont déposées, une enquête pourrait être menée. Il faudra alors déterminer s'il y a eu des manquements dans l'organisation. Mais cela reste tout de même très hypothétique au regard du problème
probatoire, notamment des lieux et moments précis de la contamination au Covid-19», juge Sévag Torossian, avocat spécialisé dans le Droit pénal politique. Selon lui, «l'infection massive» est toutefois le seul cas qui pourrait interroger sur la responsabilité des pouvoirs publics. «L'État a-t-il bien mis en place toutes les conditions de sécurité sanitaire ? Est-ce l'application du protocole sanitaire au niveau local qui a pêché ? Ces questions se poseront, et en théorie, le maire pourrait engager sa responsabilité», tranche-t-il.
Et Benjamin Ingeleare de citer un exemple dans lequel l'édile pourrait être condamné : «Le cas d'école, ce serait que quelqu'un soit contaminé et qu'il décède alors qu'il avait fait un test négatif la veille des élections et un autre positif après et qu'en plus, la justice puisse apporter la preuve que le maire n'a pas respecté les mesures de prudence», détaille-t-il.
À LIRE AUSSIJean Castex détaille l'organisation des régionales, maintenues en juin
Mais selon Sévag Torossian, les craintes actuelles autour de ces questions sont infondées. «On est en train d'agiter l'épouvantail d'électeurs qui vont passer trois à cinq minutes dans le bureau de vote et qui vont décéder quelques jours plus tard. Cela paraît tout de même peu probable», argue l'avocat.
Une manœuvre politique ?
La consultation des maires par l'exécutif vendredi soir pose selon l'avocat la question d'une «manœuvre politique» pour «déléguer la responsabilité pénale aux édiles». «La consultation n'est pas une
délégation. On peut s'interroger sur les motifs réels de cette
consultation qui a été imposée dans un laps de temps record et sans
tenir compte de l'avis de l'AMF (association des maires de France)
favorable au maintien des élections», précise Sévag Torossian, qui prédit qu'en cas de procès, «les uns et les autres vont se renvoyer la balle».
À LIRE AUSSICovid-19: 84 plaintes déposées à l'encontre de ministres concernant la gestion de la crise sanitaire
La condamnation de maires pour des cas de décès liés au Covid-19 après les élections paraît donc plus qu'hypothétique, d'autant que la loi Fauchon du 10 juillet 2000 restreint les cas dans lesquels les édiles peuvent être condamnés en cas d'infraction non intentionnelle. «Avant, dès qu'il y avait un accident sur la commune, les maires pouvaient rapidement être condamnés. Cette loi les protège mieux désormais. Ils peuvent toujours être condamnés, mais il faut qu'il y ait une réelle faute d'imprudence ou de négligence et prouver qu'il y a un lieu de causalité entre la faute et le dommage», explique Benjamin Ingeleare.
Dans tous les cas, la situation exceptionnelle occasionnera probablement des plaintes des électeurs, comme cela a par exemple été le cas ces derniers mois avec certains ministres. «Les tribunaux devront bâtir une jurisprudence de l'article 121-3 du Code pénal qui soit propre à l'état d'urgence sanitaire», conclut Sévag Torossian.