Emmanuel Macron fait-il campagne «aux frais de l'État» ?

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Par Wally Bordas
Publié le 04/06/2021 à 14:11, mis à jour le 04/02/2022 à 18:19
Emmanuel Macron a lancé son «tour de France» des régions, avec comme objectif affiché de «prendre le pouls» de la population.

Emmanuel Macron a lancé son «tour de France» des régions, avec comme objectif affiché de «prendre le pouls» de la population. Lionel BONAVENTURE / POOL / AFP

LA VÉRIFICATION - C'est ce qu'affirment certains de ses opposants parmi lesquels Christian Jacob, président des Républicains.

LA QUESTION. La critique est récurrente. Alors qu'Emmanuel Macron entretient le faux suspense autour de sa candidature, ses opposants dénoncent tour à tour l'action d'un président-candidat, en campagne aux frais de l'État. «(Il) se sert des deniers publics (...) On est clairement sur du détournement de fonds publics», a ainsi fustigé ce vendredi 4 février le président des Républicains, Christian Jacob. «J'ai écrit au président de la commission des comptes de campagne», a-t-il fait savoir.

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Six mois plus tôt, le locataire de l'Élysée s'était lancé dans un «tour de France» des régions avec comme objectif affiché de «prendre le pouls» de la population. Cette itinérance l'a conduit dans les Pyrénées cet été, dans la Creuse, ou encore plus récemment dans le Limousin, pour y évoquer son projet de reconquête des territoires désertés par l'État. À seulement deux mois du premier tour, Emmanuel Macron a-t-il le droit de faire ces déplacements en période de campagne électorale ? Peut-il être accusé d'utiliser l'argent du contribuable à des fins électorales ? Le président de la République fait-il campagne aux frais de l'État ?

VÉRIFIONS. Cette accusation revient régulièrement dans le débat public. Lors de nombreuses échéances électorales, les anciens présidents de la République mais aussi les présidents de régions ou maires ont été accusés par leurs oppositions de faire campagne aux frais du contribuable. «C'est quelque chose d'assez courant. Par exemple, quand Laurent Wauquiez s'occupe de la crise sanitaire dans sa région en offrant des masques à ses administrés, il est lui aussi accusé de faire campagne pour sa réélection. Le problème concerne donc tous les échelons de la vie politique. Lorsqu'un élu agit, il prend forcément un avantage sur ses opposants», explique Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes et spécialiste du droit électoral.

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Lorsque le président de la République fait son tour de France des régions en pleine campagne régionale, peut-il être accusé de «faire campagne» pour les candidats LREM des territoires dans lesquels il se rend, et ce aux frais de l'État ? «Il est tout de même curieux d'effectuer ce tour de France à ce moment précis. Il s'agit d'une démarche de propagande politique légitime. Il y a donc un vrai problème», introduit Régis de Castelnau, avocat à la Cour, blogueur et auteur du livre Une justice politique (éditions L'Artilleur). Selon lui, le président se met dans une «situation juridiquement assez préoccupante» en faisant «un apport difficilement contestable aux campagnes des candidats».

«Si la Commission des comptes de campagne estimait que les candidats ont été favorisés par la venue d'Emmanuel Macron dans leur territoire, alors cela ferait exploser leurs comptes de campagne. D'ailleurs, cela pourrait être considéré comme un don interdit car émanant d'une personne morale, l'État. Cela pourrait alors invalider leurs comptes», détaille Régis de Castelnau.

Ses déplacements doivent être strictement limités à des enjeux de représentation de l'État

Louis le Foyer de Costil, avocat en contentieux électoral et droit des élus au barreau de Paris

«On ne peut pas empêcher le président de la République de faire le président de la République»

Mais en réalité, rien n'empêche Emmanuel Macron de faire son tour de France pour rencontrer les citoyens et les acteurs locaux, tant qu'il ne prend pas le risque de se positionner sur des sujets politiques locaux. «Si le président aborde des enjeux régionaux, s'affiche avec des candidats de la majorité présidentielle ou critique des opposants, cela pourrait devenir problématique. Ses déplacements doivent être strictement limités à des enjeux de représentation de l'État», prévient Louis le Foyer de Costil, avocat en contentieux électoral et droit des élus au barreau de Paris.

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«Sur le plan politique, on peut considérer que ce tour de France produit les mêmes effets qu'une campagne, mais sur le plan juridique, c'est beaucoup plus strict. On ne peut pas empêcher le président de la République de faire le président de la République», estime Romain Rambaud. Un avis que partage Benjamin Ingeleare, avocat en droit public et spécialiste des contentieux électoraux. «Légalement, on ne peut pas considérer qu'Emmanuel Macron fait campagne aux frais de l'État, abonde-t-il. Et concernant son temps de parole dans les médias, seul le CSA pourrait réagir. Pour l'instant, il n'y a aucune règle contraire puisque cette instance a toujours considéré que le chef de l'État avait un statut hors sol au niveau de sa prise de parole», ajoute-t-il.

Depuis la loi organique de 2021 sur l'élection présidentielle, la période de comptabilisation des frais de campagne a été réduite à neuf mois. Tout ce que le président de la République fait avant juillet ne relèvera donc pas de cela

Romain Rambaud, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes et spécialiste du droit électoral

En campagne présidentielle ?

Peut-on toutefois considérer que le président de la République a lancé sa campagne présidentielle et qu'il le fait avec l'argent du contribuable ? «Personne ne peut nier qu'Emmanuel Macron se prépare. Il court le risque de voir ces déplacements considérés comme une campagne électorale et qu'une partie de leur coût soit réintégré dans ses comptes de campagne», prévient Régis de Castelnau. Selon l'avocat à la Cour, il y a «un précédent avec ce que la Commission des comptes de campagne a fait subir à Sarkozy lorsqu'il a été poursuivi pour dépassement en 2012». «Si Emmanuel Macron n'est pas plus prudent, il risque d'avoir quelques soucis. Entre les frais de déplacement et le nombre de fonctionnaires mobilisés pour cette tournée, l'enveloppe pourrait rapidement grimper. D'autant qu'encore une fois, l'État étant une personne morale, il ne peut pas légalement contribuer à sa campagne», juge Régis de Castelnau.

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Dans les faits, sur le volet des finances, la campagne présidentielle a commencé le 1er juillet 2021. Avant cette date, le président de la République pouvait faire tous les déplacements qu'il voulait sans risquer que ces derniers soient intégrés à ces comptes de campagne. «Depuis la loi organique de 2021 sur l'élection présidentielle, la période de comptabilisation des frais de campagne a été réduite à neuf mois. Tout ce que le président de la République fait avant juillet ne relèvera donc pas de cela. Ensuite, il devra être plus vigilant», précise le spécialiste du droit électoral Romain Rambaud. Mais même depuis le 1er juillet, le président peut continuer à se déplacer sans trop être inquiété. «La définition de la dépense électorale est stricte : il faut que l'argent soit engagé pour convaincre les électeurs de voter pour soi dans le cadre d'une élection future», précise l'enseignant.

En résumé, tant qu'il n'est pas candidat et même quand il le sera, le président peut continuer à marcher sur cette ligne de crête. «Tant qu'il joue au président, il échappe au contrôle», juge Romain Rambaud. Et de conclure : «Un président peut rester président jusqu'au bout. Mais au bout d'un moment, la campagne s'impose tellement que tout devient électoral. On ne peut alors plus considérer qu'il ne fait pas campagne».