Comment faire un référé suspension devant le tribunal administratif ?

Retrouvez ici tout le podcast diffusé en mars sur le référé suspension. 

Dans ce podcast, Me Benjamin INGELAERE vous explique tout ce que vous devez savoir sur la procédure liée au référé suspension.

Comment faire pour faire un référé suspension ?

Nous allons aborder aujourd’hui la notion du référé suspension qui est l’une des procédures les plus utilisées par les justiciables devant le tribunal administratif et devant les juridictions administratives.

J’avais annoncé cette thématique lors du précédent épisode que vous pouvez toujours retrouver en ligne, en rapport avec la rupture conventionnelle dans la fonction publique.

Aujourd’hui, on va vraiment faire du pratico-pratique en évoquant très précisément l’introduction d’un référé suspension devant le tribunal administratif jusqu’à l’audience et jusqu’à la réception de la décision rendue par le juge administratif. 

Pourquoi ai-je souhaité aborder ce référé suspension dans ce podcast ? Parce que c’est une question et une demande récurrentes de la part de nos clients ou de nos interlocuteurs d’en savoir plus sur le référé suspension. Le référé suspension obéit à 3 conditions cumulatives, c’est ce que nous verrons par la suite et si ces 3 conditions ne sont pas cumulativement réunies, alors le référé suspension ne pourra pas prospérer, c’est-à-dire que votre référé sera rejeté de facto par le tribunal administratif.

Qui peut faire un référé suspension ?

C’est une procédure d’urgence qui permet au juge administratif de prendre une décision dans délai extrêmement court.
C’est dans un délai en général d’un mois, un mois et demi grand maximum que vous aurez cette décision.
Parfois, vous avez la décision au bout de quelques jours, voire une semaine et elle va venir fixer provisoirement la décision dans le temps en attendant d’avoir le jugement qui sera rendu sur le fond.
Pour bien comprendre et bien appréhender ce qu’est un référé suspension, il faut dans un premier temps bien cerner et bien comprendre ce qu’est une requête en excès de pouvoir et ce qu’est une décision sur le fond.
«Référé» s’oppose à «décision sur le fond».
Ce sont deux procédures complémentaires, l’une ne peut être effectuée sans l’autre, vous ne pouvez pas faire de référé suspension si vous n’avez pas déposé une requête sur le fond et au contraire, vous pouvez déposer une requête sur le fond sans faire de référé, bien entendu.

Il est vrai que généralement, quand on parle de fond, pour les justiciables, cela ne leur parle pas forcément puisque c’est un langage interne utilisé par les avocats, c’est un langage juridique.

Une requête sur le fond, c’est une demande d’annulation par exemple d’une décision administrative.

Quand on parle d’action sur le fond, c’est simplement le fait d’avoir un jugement qui tranche définitivement une problématique juridique.

Vous déposez une requête sur le fond, par exemple «je souhaite l’annulation d’une sanction disciplinaire» ou «je souhaite l’annulation d’un permis de construire».

Dans le jugement qui sera rendu (en général au bout de 18 mois de procédure), le juge administratif va vous dire «j’annule» ou «je n’annule pas la décision».

C’est net et définitif, sauf appel, bien entendu.

Le magistrat va donc venir se prononcer directement sur la légalité ou sur l’illégalité d’une décision, il n’y a plus de place au doute : c’est légal ou illégal.

La procédure sur le fond est donc une requête classique, c’est notamment ce que nous avions vu dans le premier podcast.

Qui dit «référé suspension» dit que nous allons solliciter devant le président du tribunal administratif une décision provisoire.

Attention : en référé, le juge ne rend pas une décision définitive, mais c’est une décision qui est provisoirement prise par le tribunal administratif, par un magistrat. I

l n’y a donc pas de collégialité, c’est un magistrat qui siège seul et qui va rendre une décision dans l’attente du jugement qui sera rendu sur le fond par ses collègues.

C’est-à-dire que lorsque vous déposez un référé suspension, vous exposez vos arguments – nous verrons par la suite plus précisément cela – vous demandez au magistrat de prendre position dans l’attente du jugement définitif qui sera rendu ultérieurement par ses collègues.

Le référé suspension a une très grande utilité, mais il est à manier quand même avec certaines précautions.

Pour le dire en d’autres termes, c’est une procédure «casse-gueule».

Pour celles et ceux qui ont déjà peut-être eu l’occasion de tenter des référés suspension seuls, il y a de nombreux cas de figure dans lesquels votre référé suspension va faire l’objet d’une irrecevabilité.

Concernant la décision rendue par le juge administratif en référé, on parle d’ordonnance et pas de jugement, car le magistrat statue seul sur votre demande.

Ce que je vous propose, c’est de voir dans un premier temps les cas de figure dans lesquels un référé de suspension est bienvenu, les 3 conditions cumulatives à réunir pour que ce référé suspension puisse être entendu et puisse prospérer (puisque c’est l’objectif), et en dernier lieu, nous verrons le référé suspension et sa spécificité en termes de conséquence.

 

avocat recours tribunal administratif

Comment déposer un référé au tribunal administratif ?

Vous pouvez envisager un référé suspension dès lors qu’il existe une urgence manifeste dans votre situation.

Si l’urgence ne vous semble pas manifeste ou si elle est sujette à de vives réserves, ce n’est pas la peine de faire un référé suspension puisque votre requête ne sera même pas étudiée sur le fond de la problématique par le juge des référés.

Elle sera écartée par notamment ce que l’on appelle une ordonnance de tri, c’est-à-dire que si vous déposez un référé suspension devant le tribunal administratif et que vous ne motivez pas l’urgence ou si l’urgence n’apparait pas comme étant manifeste, votre dossier n’est même pas nécessairement appelé à l’audience.

Votre requête en référé suspension ne va même pas être transmise à la partie adverse.

À la simple lecture de votre argument, la juridiction va estimer que votre référé suspension ne tient pas la route sur la simple question de l’urgence, on ne va donc même pas se pencher sur la problématique juridique qui est soumise au magistrat.

Quels sont les différents types de référés administratifs ?

Vous pouvez envisager un référé suspension dès lors qu’il existe une urgence manifeste dans votre situation.

Si l’urgencene vous semble pas manifeste ou si elle est sujette à de vives réserves, ce n’est pas la peine de faire un référé suspension puisque votre requête ne sera même pas étudiée sur le fond de la problématique par le juge des référés.

Elle sera écartée par notamment ce que l’on appelle une ordonnance de tri, c’est-à-dire que si vous déposez un référé suspension devant le tribunal administratif et que vous ne motivez pas l’urgence ou si l’urgence n’apparait pas comme étant manifeste, votre dossier n’est même pas nécessairement appelé à l’audience.

Votre requête en référé suspension ne va même pas être transmise à la partie adverse.

À la simple lecture de votre argument, la juridiction va estimer que votre référé suspension ne tient pas la route sur la simple question de l’urgence, on ne va donc même pas se pencher sur la problématique juridique qui est soumise au magistrat.

Il y a 3 conditions cumulatives pour qu’un référé suspension puisse prospérer et donner lieu à une ordonnance :

  • La condition de l’urgence,
  • La condition du doute sérieux sur la légalité,
  • Justifier d’avoir déposé en parallèle de ce recours en référé suspension, une requête en annulation sur le fond. 

Nous allons prendre ces 3 conditions de la plus simple à la plus complexe.

La plus simple, c’est la condition purement formelle qui est celle de justifier du dépôt d’une requête en annulation.

C’est la plus simple puisque vous n’avez pas grand-chose à faire, si ce n’est de justifier du dépôt de cette requête, mais dans les faits, par expérience, je constate que beaucoup de justiciables qui saisissent seuls le juge des référés ne savent pas qu’il faut déposer en parallèle une autre procédure, celle de la requête en annulation.

Ainsi, si vous ne déposez pas une requête en annulation, votre référé suspension sera de suite irrecevable.

Ce n’est donc même pas la peine de perdre du temps à parler d’urgence ou du fond du dossier, si vous n’avez pas déposé de requête en annulation (donc de requête sur le fond) devant le juge administratif, votre recours en référé va être immédiatement écarté.

Il ne sera ni audiencé ni jugé ni analysé, c’est une irrecevabilité manifeste. C’est donc la première condition, comme nous l’avons vu, justifier d’une requête en annulation sur le fond, recours à un excès de pouvoir par exemple.

La seconde condition pour que votre référé suspension puisse prospérer, c’est de justifier de l’urgence.

L’urgence sera de démontrer que l’on est face à une atteinte immédiate et grave d’un intérêt.

En fonction publique, ce sera par exemple de démontrer que financièrement, la situation est compromise de manière immédiate, que la perte de traitement est immédiate et que vous êtes placé dans une grande difficulté financière.

C’est important de le souligner, notamment en fonction publique, car le simple fait de perdre votre traitement ne justifie pas à lui seul la condition d’urgence.

Cette condition d’urgence est plus ou moins appréciée restrictivement par les tribunaux, par les magistrats et par les différents types de dossiers.

Par exemple, si vous estimez que vous n’avez plus de traitement en tant qu’agent de la fonction publique, cela ne peut pas en soi forcément justifier la condition d’urgence si vous êtes marié et que vous époux ou votre épouse bénéficie toujours d’un revenu important, le juge administratif va très probablement estimer que la condition d’urgence n’est pas réunie.

Donc il faut vraiment produire toutes les pièces financières démontrant que votre revenu est un élément extrêmement important des revenus du foyer.

Vous pouvez produire par tous types de preuves : des attestations, des relevés bancaires, vos dépenses, toutes les factures, votre tableau d’amortissement de prêt, etc.

C’est très important.

Que se passe-t-il si vous n’apportez pas la preuve de l’urgence ?

Vous pouvez faire l’objet d’une ordonnance de tri, c’est-à-dire que le dossier n’est pas jugé sur le fond, il est rejeté immédiatement.

Si vous parvenez à faire la démonstration de cette condition d’urgence et que vous avez également déposé une requête sur le fond (donc une requête en annulation), il faut parvenir à démontrer la troisième et dernière condition cumulative : démontrer qu’il y a un doute sérieux sur la légalité contestée.

Cette notion de doute sérieux sur la légalité est très importante.

Pourquoi ? Parce qu’on dit toujours que le référé, c’est le juge de l’évidence et le juge de l’urgence.

Le juge de l’urgence, nous venons de le voir, mais le juge de l’évidence, c’est quoi ?

En matière de référé, le magistrat, comme nous l’avons vu tout à l’heure en guise d’introduction, ne va pas rendre une décision définitive.

Il rend une décision provisoire c’est-à-dire «je sais très bien que la décision définitive sera rendue par mes collègues magistrats sur le fond dans 18 mois, mais je ne vais pas attendre pour administrer que cette décision définitive soit rendue dans 18 mois compte tenu de l’urgence et du doute sérieux, je vais suspendre par exemple provisoirement les effets de cette décision».

Donc le magistrat peut provisoirement suspendre un permis de construire ou une sanction administrative.

Cette suspension est possible s’il y a l’urgence, une requête sur le fond et s’il y a un doute sérieux sur la légalité.

Le doute sérieux sur la légalité, c’est démontrer que l’on est au-delà du doute manifeste sur la légalité de la décision.

En d’autres termes, cela signifie qu’il faut que vous démontriez qu’il y a un gros problème évident, qui se voit comme le nez au milieu de la figure, que la décision contestée ne va pas, qu’elle n’est pas conforme aux droits, qu’elle n’est pas conforme à la jurisprudence ou aux dispositions légales.

Il faut que vous puissiez démontrer que cette décision attaquée ne va pas dans le sens du droit et que c’est manifeste, cela doit être évident.

Cette évidence doit être démontrée par un argumentaire précis et charpenté, on le répète puisqu’encore une fois, la juridiction en référé va juger les dossiers qui sont évidents.

S’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision, même si votre situation est urgente, vous aurez une décision défavorable.

Nous allons prendre le cas de figure le plus simple : vous avez démontré l’urgence, vous êtes plus ou moins sûr de votre coup sur le doute sérieux sur la légalité, vous avez bien justifié au greffe de l’existence d’un recours en excès de pouvoir. Que se passe-t-il alors ? Vous allez réceptionner un avis.

Comme j’ai pu l’expliquer dans le premier podcast «comment faire un recours devant le tribunal administratif», je ne vais pas reprendre tous les éléments de la procédure, mais j’avais bien insisté en indiquant que lors de la procédure sur le fond devant le juge administratif, il n’y a pas vraiment d’audience.

Cela n’a d’audience que le nom puisque vous pouvez formuler de très brèves observations, mais vous ne pouvez pas plaider en long, en large et en travers de votre dossier.

En matière de référé, c’est l’inverse.

Le référé suspension est sans aucun doute la procédure qui se rapproche le plus des instances civiles et pénales.

Cela se rapproche le plus des instances pénales, car le jour de l’audience en référé suspension, vous allez réellement pouvoir consacrer un temps important à la défense et à la plaidoirie de votre affaire devant le magistrat.

En tant qu’avocats, les audiences en référé suspension sont toujours celles avec lesquelles nous prenons le plus de plaisir puisque l’on peut plaider longuement le dossier.

Par ailleurs, ce qui est également agréable dans le cadre des audiences de référé suspension, c’est qu’il y a souvent un dialogue qui s’instaure avec le magistrat en charge du dossier qui a préparé l’instance d’audience à l’avance et qui va souvent avoir beaucoup de questions à vous poser.

Si vous avez un avocat, ce dernier plaidera pour vous le dossier, bien entendu.

Si vous êtes seul, vous pourrez également répondre aux interrogations du magistrat. J’ai envie de dire qu’il n’y a pas de question piège du magistrat le jour de l’audience, il vient dans une objectivité et une neutralité.

S’il vous pose des questions, c’est qu’il a déjà commencé à réfléchir sur la décision qu’il sera amené à prendre et qu’il a un certain doute dans un sens ou dans un autre.

J’ai envie de vous dire que c’est toujours bon signe que le magistrat pose des questions, c’est parce qu’il s’interroge sur le sens de la décision qu’il sera amené à rendre.

Le magistrat peut par exemple vous poser des questions sur des éléments factuels ou vous interroger sur le sens d’une pièce puisqu’elles sont transmises par écrit et parfois, elles ne sont pas toujours claires à comprendre et à appréhender, donc le magistrat va par exemple vous dire «Monsieur ou Maître, concernant la pièce n° 7, l’emploi du temps ou le plan de tel immeuble, j’ai quelques interrogations. Qu’en est-il ? Quelles sont les mesures ? De quand date cette pièce ?» Il va donc vous poser plusieurs questions.

À l’issue de l’audience, vous n’avez bien entendu pas la décision immédiatement. On n’a jamais la décision à l’issue de l’audience, vous allez la recevoir dans les jours qui suivent.

Lorsque vous êtes destinataire de l’ordonnance rendue par le juge des référés, cette décision va vous indiquer si oui ou non la décision contestée est suspendue à titre provisoire dans l’attente du jugement sur le fond à intervenir.

C’est-à-dire que si vous avez une décision qui est favorable, elle va suspendre, geler les effets juridiques de la décision contestée et vous êtes tranquille jusqu’à l’audience ultérieure sur le fond.

Dans une écrasante majorité des cas, c’est la même décision qui est rendue. Si vous avez gain de cause en référé, il y a de grandes chances que vous ayez gain de cause sur le fond du dossier.

Ce n’est ni obligatoire ni absolu, mais c’est souvent le cas. Parfois, vous avez de mauvaises surprises puisque vous gagnez en référé, vous êtes assez confiant puis finalement, vous vous faites retoquer, car il y a une appréciation différente des magistrats sur le fond en marge du dossier ou sur la problématique juridique qui leur a été soumise.

L’autre possibilité, c’est le rejet de votre référé suspension.

Même si le dossier a été audiencé, ce rejet peut se fonder sur deux cas de figure :

  • Soit parce que le magistrat va estimer que finalement, il n’y a pas réellement d’urgence et dans ce cas, c’est rejeté pour défaut d’urgence,
  • Soit parce que le magistrat estime qu’il n’existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. 

Là, attention, parce que c’est un chausse-trape très important et complémentaire : si l’ordonnance de référé relate votre référé parce que le magistrat estime qu’il n’y a pas de doute sérieux sur la légalité, il faut immédiatement à réception de cette ordonnance que vous écriviez au greffe du tribunal administratif en charge de votre dossier sur le fond.

Sur la requête en annulation, vous écrivez immédiatement au greffe, le jour même pour ne pas l’oublier, pour lui indiquer que vous souhaitez maintenir malgré tout votre requête sur le fond.

Pourquoi ? Puisque désormais, c’est une nouveauté, c’est un nouveau chausse-trape dans les pieds des justiciables et des avocats en matière administrative, c’est que lorsque vous réceptionnez une ordonnance en référé suspension qui rejette votre demande, si le magistrat estime qu’il n’y a pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, si vous ne confirmez pas au juge que vous maintenez votre recours en excès de pouvoir sur le fond, le recours sur le fond sera également rejeté et cela ne pose aucune grande difficulté pour la suite puisque forcément, il n’y a plus grand-chose à faire et en gros, vous perdez sur les deux tableaux de manière automatique.

C’est donc très important.

Le référé suspension est une arme juridique très puissance, mais qui doit être travaillée en amont et veillez bien justement à avoir validé ces 3 conditions cumulatives qui ne sont pas alternatives.

Des conditions cumulatives sont des conditions qui doivent toutes être réunies pour que votre demande puisse prospérer.

Voilà pour les quelques observations et informations sur le référé suspension.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire en plus, mais l’objectif de ce podcast est d’être synthétique sans vous assommer de multiples considérations juridiques.

Ici, vous avez l’essentiel pour commencer à travailler votre référé suspension.

Si vous souhaitez avoir davantage d’informations, notamment sur les autres référés qui sont moins utilisés, mais qui peuvent aussi avoir leur importance comme le référé liberté (nous pourrons éventuellement faire un podcast sur celui-ci) ou sur les référés en matière de marché public, je vous invite vraiment à consulter le site du conseil d’État qui est très bien fait.

Il y a des fiches thématiques sur chacun de ces référés.

avocat droit public