Illégalité d'une autorisation d'urbanisme n'est pas suffisante pour ouvrir droit à indemnisation sur le seul fondement du préjudice anormal.
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Lexbase Hebdo édition publique n ̊434 du 20 octobre 2016
L'illégalité d'une autorisation d'urbanisme n'est pas suffisante pour ouvrir droit à indemnisation sur le seul fondement du préjudice anormal
Réf. : CE 1 ̊ et 6 ̊ ch.r., 28 septembre 2016, n ̊ 389 581, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7337R4I)
Dans un arrêt rendu le 28 septembre 2016, la Haute juridiction vient apporter une précision d'importance quant à la notion de troubles anormaux ouvrant droit à indemnisation. Ainsi, la simple illégalité affectant une autorisation d'urbanisme ne saurait par elle-même suffire à caractériser l'anormalité du préjudice tiré de la proximité d'un ouvrage public.
Dans cette affaire, les voisins d'un lotissement ont obtenu devant la cour administrative d'appel de Bordeaux la condamnation du propriétaire de cet ouvrage public à les indemniser pour la somme de 124 000 euros en raison du trouble anormal causé par sa présence (2).
En effet, la cour administrative d'appel a pu retenir que le permis de construire délivré était illégal, par voie de consé- quence, le trouble anormal était constitué, de ce seul fait, pourrait-on lire.
Tel n'est pas l'analyse du Conseil d'Etat.
L'arrêt rapporté se montre à bien des égards assez critiques sur l'arrêt rendu par la cour.
Après avoir rappelé le principe selon lequel la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public à l'égard des tiers par rapport à cet ouvrage s'apprécie au regard de l'anormalité du préjudice, la Haute juridiction vient préciser que, toutefois, il convient de constater, pour opérer l'indemnisation, que la seule circonstance tirée de la méconnais- sance des règles d'urbanisme applicables n'est pas suffisante.
Par l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat précise qu'il convient d'apprécier si les troubles permanents qu'entraînent la présence de l'ouvrage public sont supérieurs à ceux qui affectent tout résidant d'une habitation située en zone urbanisée.
L'illégalité affectant une autorisation d'urbanisme ne saurait donc par elle-même suffire à caractériser l'anormalité du préjudice.
I — Des conditions usuelles de la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public à l'égard des tiers
Le droit de la responsabilité administrative sans faute se distingue de celle de la responsabilité civile à bien des égards car si cette dernière est présente de manière générale dans le Code civil, l'on ne trouve rien d'équivalent en matière administrative puisque cette responsabilité n'existe que dans des cas particuliers.
Il est ainsi apparu que le fonctionnement non fautif des services publics était de nature à engendrer des préjudices parfois particulièrement importants pour les administrés, et les juridictions ne pouvaient, bien entendu, laisser sans réponses ces difficultés.
Des arrêts de principes ont ainsi permis de distinguer plusieurs catégories de responsabilités sans faute de l'adminis- tration, la responsabilité pour risque ou dites des méthodes dangereuses , la responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques et bien entendu, la responsabilité de dommages de travaux et ouvrages publics.
A ce titre, en matière de "troubles anormaux du voisinage", la responsabilité sans faute du propriétaire d'un ouvrage public est régie par des grands principes intangibles, mais désormais précisés (II).
Comme nous le savons, il faut distinguer l'usager de l'ouvrage, du tiers.
Si l'usager bénéfice d'un renversement de la preuve particulièrement favorable, le régime de la preuve concernant le tiers de l'ouvrage public reste particulièrement favorable.
Une jurisprudence constante applique la règle immuable selon laquelle seul le maître d'ouvrage est responsable des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur simple fonctionnement qu'en raison de leur existence.
Cette responsabilité est susceptible d'engager financièrement les collectivités vis-à-vis des tiers, même sans faute.
En effet, concernant les nuisances de travaux publics vis-à-vis des tiers, si la charge de la preuve repose sur le requérant, il lui suffit cependant de démontrer un lien de causalité entre l'ouvrage public et le dommage anormal et spécial subi.
Il appartient alors au tiers de rechercher la responsabilité soit du maître de l'ouvrage qui en la garde, soit de la collectivité publique en assurant l'entretien
Les cas de figurent envisageables sont extrêmement nombreux et ont pu donner lieu à une multitude d'apprécia- tions, tant la preuve du lien de causalité est dépendante de la nature des travaux et donc du préjudice subi.
C'est néanmoins une lecture homogène qui était livrée jusqu'alors par les juridictions.
A cet égard, l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Bordeaux apporte une lecture conforme aux attentes jurisprudentielles (...) le Conseil d'Etat vient juger du contraire, le fait générateur du préjudice, à savoir l'illégalité de la décision à l'origine de l'ouvrage, ne pouvant suffire à lui seul à indemniser les requérants.
II — Une appréciation restrictive du préjudice anormal : de la prédominance de l'état initial de la situation des requérants, vers une exigence d'un préjudice "anormalement grave" ?
Dès 2001, au terme d'un colloque tenu au Palais du Luxembourg, le Professeur Pontier expliquait ainsi que la juris- prudence administrative se dirigeait vers une "gradation" des préjudices.
Apparaissait ainsi, la notion de préjudice "anormalement grave", exigeant pour entrer en voie de sanction, un "dom- mage sans rapport avec l'état initial".
Cette exigence "d'extrême gravité" du dommage, qualifiée à l'époque de "nouvelle", est entrée visiblement dans le logiciel du Conseil d'Etat et s'applique désormais à toutes les matières avec le risque "d'introduire une gradation au sein des préjudices susceptibles d'entraîner la responsabilité sans faute de l'administration".
L'arrêt rendu en est le parfait exemple.
Si le caractère anormal d'un préjudice laisse place à bien des interprétations, le simple fait que le préjudice ait été généré par une décision illégale ne permet pas, selon le Conseil d'Etat, d'ouvrir droit sur ce seul motif, à indemnisa- tion.
Ainsi, la circonstance qu'une construction méconnaîtrait les règles d'urbanisme applicables ne permet pas, sur ce seul fondement, de caractériser le trouble et le préjudice subi par les tiers de l'ouvrage public.
Le Conseil d'Etat retient le défaut d'anormalité pour rejeter les demandes des requérants, au motif que, compte tenu de l'emplacement de leur immeuble, les usagers ne pouvaient que s'attendre à une construction imposante constituée de logements collectifs :
On ne peut que souligner toutefois, la libéralité bienveillante retenue au bénéfice de la personne publique, bien heureuse de ne pas indemniser les riverains malgré l'illégalité manifeste de son autorisation d'urbanisme, surtout lorsque l'on sait avec quelle sévérité un particulier peut être sanctionné.