https://www.lefigaro.fr/conso/carburants-face-a-la-flambee-de-la-facture-pourrait-on-bloquer-les-prix-20220310

Carburants : face à la flambée de la facture, pourrait-on «bloquer les prix» ?

SOURCE : https://www.lefigaro.fr/conso/carburants-face-a-la-flambee-de-la-facture-pourrait-on-bloquer-les-prix-20220310

 

Par Wladimir Garcin-Berson

«Face à l'envolée des prix à la pompe, je bloquerais les prix des carburants à son niveau d'avant-crise», a promis Eric Zemmour, début mars. AFP / THOMAS COEX

LA VÉRIFICATION - Plusieurs candidats à l'élection présidentielle ont appelé à geler les prix des carburants. Mais est-ce faisable ?

LA QUESTION. Alors que la guerre menée par la Russie en Ukraine devient de plus en plus violente, l'économie mondiale retient son souffle. Conséquence du conflit, les cours du pétrole, du gaz naturel et de matières premières comme l'aluminium, le blé et le nickel flambent. Les ménages ressentent d'ores et déjà les premiers effets de la crise : dans l'Hexagone, les prix des carburants pulvérisent leurs précédents records, atteignant, mardi, jusqu'à 2,65 euros le litre de gazole dans les Bouches-du-Rhône, 2,47 euros dans l'Ain et 2,38 euros dans le Gard. De quoi grever le budget des Français.

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Aux grands maux, les grands remèdes : certains candidats à la présidentielle ont appelé l'exécutif à prendre des mesures d'urgence pour soulager le portefeuille de nos concitoyens. Ce week-end, lors d'un meeting à Toulon, Eric Zemmour a ainsi défendu un blocage du prix du litre de carburant à 1,8 euro. «L'État doit garantir à chaque Français un prix décent. C'est pourquoi, face à l'envolée des prix à la pompe, je bloquerais les prix des carburants à son niveau d'avant-crise», a promis le candidat de Reconquête! Une idée déjà avancée par Jean-Luc Mélenchon et son parti, La France insoumise mais aussi Fabien Roussel, le candidat du Parti communiste Français, qui suggère de bloquer le prix du litre à 1,7 euro.

Mais cette piste est-elle légale ? Et quelles pourraient être les conséquences de cette politique ?

VÉRIFIONS. Commençons par rappeler que la situation actuelle est due à l'envolée de la matière première sur les marchés internationaux. Depuis le début de la guerre, le baril de Brent a vu sa valeur bondir, dépassant progressivement la barre des 100 dollars, fin février, puis 110 dollars, puis 120 dollars, voire, temporairement, 130 dollars. Si, en France, les taxes pèsent 50% du prix final, la hausse actuelle de la facture est donc due à ces évolutions du marché.

Ceci posé, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon et Fabien Roussel ont raison : il serait tout à fait possible de bloquer les prix des carburants, sans difficulté. Dans le Code de commerce, l'article L410-2 dispose que si les prix sont, dans l'écrasante majorité des cas, «librement déterminés par le jeu de la concurrence», des exceptions peuvent être admises, dans les cas où un dérèglement du marché est avéré. Deux cas principaux sont énumérés : d'abord, dans les «situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement». Ensuite, dans les cas où sont constatées des «hausses ou des baisses excessives de prix, [...] une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché». Dans ces cas, le gouvernement peut agir, par décret, après consultation du Conseil national de la consommation, afin de réguler les prix pendant six mois maximum. En outre, un nouveau décret peut être pris afin de prolonger le blocage, au bout de la durée maximale.

«La seconde exception a été utilisée plusieurs fois, notamment pour bloquer les prix des carburants dans les années 1990, puis lors de la crise du Covid-19», note Alexandre Blanco, juriste au cabinet Ingelaere avocats. À l’époque, la guerre du Koweït avait conduit Pierre Bérégovoy, ministre de l'Économie de Michel Rocard, à geler pendant cinq semaines «les prix de vente au détail du supercarburant sans plomb, du supercarburant contenant du plomb, de l'essence, du gazole et du fioul domestique», par un décret du 8 août 1990. De même, le gouvernement s'est appuyé à plusieurs reprises, comme en juillet 2020, sur cet article pour bloquer les prix du gel hydroalcoolique et des masques durant la pandémie de Covid-19, ajoute le juriste.

Les prix sont, en règle générale, «librement déterminés par le jeu de la concurrence, un principe communautaire», souligne Me Guillaume Pezzali, avocat associé et directeur du département droit économique du cabinet Fidal, à Paris. Le dispositif de l'article L410-2 rappelle donc ce principe général, avant d'ajouter une dérogation «temporaire, lorsqu'un motif impérieux l'exige». «C'est une frappe chirurgicale réalisée par le gouvernement pour un blocage extrêmement ciblé sur un secteur ou un produit précis», explique l'avocat.

Fin 2021, les députés LFI ont proposé de renforcer ce dispositif, en supprimant la durée maximale de six mois, et en ajoutant la possibilité de bloquer les prix dans une «situation d'urgence sociale». Mais ce texte a été rejeté.

Attention aux effets secondaires

En l'état du droit, il serait donc tout à fait possible de faire jouer cet article pour bloquer les prix des carburants. Est-ce, pour autant, la meilleure solution ? Économiste chez Asterès, Sylvain Bersinger rappelle que cette mesure «touche tout le monde», sans distinction, du ménage le plus modeste aux plus riches. En outre, elle «enlève les incitations au marché» qu'envoient les variations des prix : dans le cas d'espèce, une hausse de prix est aussi une incitation environnementale à acheter des véhicules moins polluants, ainsi qu'une autre, politique, à moins dépendre de pays étrangers sur le plan énergétique.

En outre, le blocage des prix doit être nécessairement limité dans le temps, souligne Me Pezzali, sous peine de voir le marché se dérégler. Si le prix du gazole est plafonné à 1,8 euro, cela signifie que les opérateurs de la filière devront acheter la matière première ou les produits pétroliers de plus en plus cher sur les marchés, alors que le prix de revente restera fixé à un niveau bien plus bas. En d'autres termes, leurs pertes vont devenir béantes. «Soit ils ne seront plus en mesure d'acheter, car les prix sont trop élevés, auquel cas le consommateur, qui pensait faire une bonne affaire, n'aura plus de carburant demain ; soit l'État va devoir les aider», avance l'avocat. Dans ce cas, ce que le consommateur gagnera sur le court terme, le contribuable le perdra sur le plus long terme. Ceci alors que les rentrées fiscales dues aux carburants seront aussi fragilisées par la situation.

En janvier, au moment de l'annonce du relèvement du barème de l'indemnité kilométrique, alors que la piste d'une baisse des taxes ou d'un gel des prix était déjà dans le débat public, Matignon balayait déjà ces hypothèses en avançant leur coût prohibitif et leurs effets délétères. En Europe, «le blocage des [prix des] carburants n'a été employé par personne», indiquait-on, soulignant le risque de «pénurie» que cette solution engendrait : «les prix des carburants augmentent car les coûts augmentent. Si le pétrole coûte plus cher que le prix fixé, il n'y a tout simplement plus de pétrole», argumentait-on, privilégiant une solution ciblée sur les ménages les plus touchés.

Même avis mitigé du côté des opérateurs : l'Ufip Énergies et mobilités, regroupant les acteurs de l'industrie pétrolière, souligne que la hausse actuelle est due aux fluctuations du marché. La marge nette des opérateurs est faible, «à un centime du litre», limitant leur marge de manœuvre. «Les prix internationaux sont ce qu'ils sont [...]. La France ne pourra pas s'opposer à l'augmentation des prix», avertissait le président de l'organisation, Olivier Gantois, mi-janvier.

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En résumé, juridiquement, il serait tout à fait possible de bloquer les prix des carburants. Mais cette mesure serait lourde de conséquences, en même temps qu'extrêmement coûteuse. Elle impliquerait notamment d'appuyer les pétroliers, pour leur permettre de continuer à acheter la matière, malgré un coût supérieur au prix de revente. Il s'agit donc d'une «fausse bonne idée», estiment nos interlocuteurs.

Parmi les autres possibilités, il serait possible de baisser les taxes pesant sur les carburants, et représentant la moitié de la facture finale. Trop dispendieuse, cette piste a été écartée par Bercy : «10 centimes de baisse, c'est 5 milliards d'euros par an pour l'État», notait-on, en janvier. Jusqu'ici, le gouvernement a donc privilégié des mesures plus ciblées, mais devenues insuffisantes avec la flambée récente des cours du pétrole.