Coronavirus (COVID-19). Le maire et le port du masque sanitaire

Le maire peut toujours aggraver une mesure de police prise soit par le préfet, soit par le gouvernement si des circonstances particulières propres à sa commune le justifient, sous deux réserves importantes cependant :

- d’une part, la mesure doit être proportionnée au but poursuivi et ne pas faire disparaître une liberté publique ;
- d’autre part, elle ne doit pas concerner un domaine d’intervention dont la police relève uniquement de l’autorité ministérielle.

C’est dans ces conditions que, du fait de la pandémie liée au Covid-19, des maires ont pris des arrêtés imposant des obligations supplémentaires, telles que le couvre-feu, l’interdiction d’accès de certaines parties du domaine public (plages, parcs botaniques, promenade des Anglais à Nice), ou port du masque. C’est ce cas précis qui vient de provoquer un arrêt important de la Haute juridiction.

1. Contexte juridique

Les faits. Le maire de Sceaux avait pris, le 6 avril, un arrêté imposant aux personnes âgées de plus de 10 ans le port d’un masque qualifié de « dispositif de protection nasal et buccal ». Une association avait demandé au juge des référés administratifs d’en ordonner la suspension d’exécution au motif qu’il portait atteinte à la liberté d‘aller et venir et à la liberté personnelle. Dans un premier temps, le tribunal administratif lui avait donné satisfaction, mais la commune de Sceaux avait fait appel devant le Conseil d’Etat.

Problèmes de droit. Plusieurs questions se posaient :

- le maire pouvait-il intervenir en ce domaine ? En d’autres termes, ne s’agissait-il pas d’un « domaine réservé » de police, de la compétence du seul ministre, comme tel est le cas cité dans le précédent « projecteur » dans certains domaines sensibles, tels que la circulation des aéronefs ou la pose des antennes paraboliques ? ;
- comment pouvaient s’articuler les dispositions du CGCT (art. L 2212-2) relatives à la police municipale confiée au maire et celles du code de la santé publique (art. L 3131-12) relatives à l’état d’urgence sanitaire issues de la loi d’urgence du 23 mars 2020 ? ;
- et d’abord y avait-il urgence justifiant l’usage de la procédure de référé exigée par l’article L 521-2 du code de justice administrative imposant alors au juge administratif de se prononcer dans un délai de 48 heures ? ;
- dans l’affirmative, le contexte local propre à sa commune pouvait-il justifier une telle aggravation, caractéristique des « circonstances particulières » exigées en tout état de cause par la jurisprudence ?

2. Raisonnement juridique

Sur l’urgence. Elle était manifeste. D’abord, du fait de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 qui avait déclaré l’état d’urgence sanitaire, sur laquelle le juge s’est essentiellement fondé. Il n’est pas excessif de penser que, même en l’absence de ce texte, le juge aurait pu estimer que la gravité de la pandémie et celle de l’atteinte à la liberté publique auraient établi l’existence de cette urgence.

Sur la conciliation des pouvoirs de police en présence. L’ordonnance fait application des principes généraux de la jurisprudence traditionnelle au cas particulier de l’épidémie de Covid-19. Elle constate :

- que les prescriptions de la loi d’urgence sanitaire intégrées dans la code de la santé publique (art. L 3131-12 et L 3131-16) ont institué une « police spéciale » donnant aux autorités de l’Etat (Premier ministre, ministre chargé de la santé, préfet) le pouvoir de prendre les mesures générales ou individuelles pour mettre fin à l’épidémie ;
- que, de ce fait, cette police spéciale a pour effet de priver le maire, pendant la période de l’urgence sanitaire, par principe, de la possibilité de faire usage de ses pouvoirs de police municipale ;
- à moins « que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’Etat ».

Ainsi, la Haute juridiction reconnaît-elle, implicitement mais nécessairement, qu’il ne s’agit pas d’un cas où le maire se trouve dépourvu de toute compétence en ce domaine de cette police spéciale dès lors que certaines conditions sont réunies.

3. Application au cas particulier du Covid-19 dans la ville de Sceaux

Sur le plan des principes, le Conseil d’Etat tient à rappeler que, en ce domaine, le pouvoir du maire pour « édicter des mesures de lutte contre cette épidémie est subordonné à la double condition qu’elles soient exigées par des raisons impérieuses propres à la commune et qu’elles ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale ».

Sur le plan de leur application au cas particulier de la commune, le maire faisait valoir que la population de Sceaux est plus âgée que la moyenne, et donc particulièrement vulnérable ; que les commerces alimentaires autorisés à rester ouverts sont concentrés dans une rue piétonne étroite, « rendant ainsi difficile le strict respect des gestes de distanciation sociale ». Cette argumentation a été écartée pour un triple motif :

- d’une part, dans le cas de la commune de Sceaux, ni la démographie de la ville ni la concentration des commerces de première nécessité dans un espace réduit ne constituent « des raisons impérieuses liées à des circonstances locales » justifiant l’obligation de porter un masque de protection dans les conditions exigées par l’arrêté ;
- d’autre part, et plus généralement, le fait pour un maire d’édicter une telle interdiction, alors que l’Etat a fixé les règles nationales précises relatives aux conditions d’utilisation des masques chirurgicaux et a décidé de ne pas imposer, de manière générale, le port de masques de protection, « est susceptible de nuire à la cohérence des mesures prises, dans l’intérêt de la santé publique, par les autorités sanitaires compétentes » ;
- enfin, et toujours de manière plus générale, « en laissant entendre qu’une protection couvrant la bouche et le nez peut constituer une protection efficace, quel que soit le procédé utilisé, l’arrêté est de nature à induire en erreur les personnes concernées et à introduire de la confusion dans les messages délivrés à la population par ces autorités ». Ainsi, le juge, après avoir sans nul doute pris l’avis des plus hautes autorités sanitaires, a fait siennes les réserves exprimées sur l’intérêt réel d’un port généralisé du masque dans un espace public où les règles de distanciation sociale peuvent être facilement observées.

Il en résultait que « les conditions n’étaient donc manifestement pas réunies en l’espèce pour que le maire puisse légalement édicter une telle interdiction sur le fondement de son pouvoir de police générale ».

Cette jurisprudence présente un double intérêt :

- elle applique d’abord au cas du port du masque les règles habituelles de conciliation de la police générale et spéciale, en les complétant sur un point non négligeable : l’obligation de ne pas nuire à la cohérence des mesures prises au niveau national ;
- de plus, elle est susceptible de s’appliquer aux différentes mesures que les maires pourraient prendre dans le cas de la lutte contre le Covid-19.(CE, 17 avril 2020, commune de Sceaux, n° 440057).

Source : la vie communale.