Covid-19 : existait-il une «base légale» pour évacuer les quais de Seine ce week-end à Paris ?

https://www.lefigaro.fr/politique/covid-19-existait-il-une-base-legale-pour-evacuer-les-quais-de-seine-ce-week-end-a-paris-20210308
Par Wladimir Garcin-Berson
Publié le 08/03/2021 à 16:47

«Il faut faire les choses dans le respect de toutes les autorités, y compris la mienne», a souligné Anne Hidalgo, «choquée», ajoutant désapprouver «les modalités» de l'évacuation des quais, samedi. AFP

LA VÉRIFICATION - La maire de Paris s'interrogeait sur le fondement juridique de l'intervention des forces de l'ordre sur les quais, ce samedi.

LA QUESTION. Était-il légal d’évacuer les quais de Seine, ce week-end, alors que des riverains profitaient d’un bol d’air au soleil ? Interrogée sur France Inter, la maire de la capitale, Anne Hidalgo, a semblé en douter. «Il faut intervenir lorsque les gens ne respectent pas les gestes barrières, ou qu’ils sont en train [...] de consommer des boissons sans masque et à quelques centimètres les uns des autres», a-t-elle reconnu. «Les scènes que j’ai vues n’étaient pas celles-là : il y avait beaucoup de parents avec des poussettes, de personnes qui se promenaient, bien sûr avec beaucoup de monde, mais, on le sait, il vaut mieux être dehors que dedans», sur le plan de la contamination, a-t-elle ensuite nuancé.

À LIRE AUSSICovid-19 : la fête organisée aux Buttes-Chaumont a-t-elle «mis en danger la vie d'autrui» ?

«Il faut faire les choses dans le respect de toutes les autorités, y compris la mienne», a souligné Anne Hidalgo, «choquée», ajoutant désapprouver «les modalités» de l’évacuation des quais, samedi. Elle n’est pas la seule à avoir réagi : «difficile de comprendre l’intérêt des mesures qui s’empilent & que nous soutenons si c’est pour renvoyer tout le monde à l’intérieur», déplorait le maire de Paris centre, Ariel Weil, sur Twitter. La maire de Paris souhaitait donc demander au préfet «la base légale de son intervention», ce lundi. Mais que s’est-il passé ? Et sur quelle base la préfecture a-t-elle mandaté cette opération ?

VÉRIFIONS. Jean Castex avait annoncé, jeudi dernier, que des mesures seraient prises pour empêcher de grands rassemblements sur la voie publique, dans les départements sous surveillance dans lesquels l’épidémie progresse. «Les préfets seront invités [...] à interdire ou à réglementer l’accès de certains sites très fréquentés pendant les week-ends, où l’on observe des regroupements de masse, trop souvent sans masque ni distanciation», déclarait le premier ministre. Disant comprendre «le besoin de sortir et de se retrouver», il ajoutait que les images «vues encore ce week-end dernier dans certaines grandes villes, y compris à Paris, ne sont tout simplement pas raisonnables».

Vendredi soir, la préfecture prévenait dans un communiqué que consigne avait été donnée aux forces de l’ordre de «procéder à l’évacuation» des lieux où se tiendraient, durant le week-end, des «regroupements de personnes dans lesquels le respect des gestes barrières ne peut être garanti, notamment sur les berges de la Seine et dans les parcs et jardins». L'intervention des forces de l'ordre était donc prévisible, samedi.

Un arrêté publié dans la foulée élargissait par ailleurs l’interdiction de consommation d’alcool sur la voie publique «jusqu’au dimanche 21 mars inclus», entre 11h et 18h, dans de nombreux lieux parisiens. Sont notamment concernés l’esplanade des Invalides, la place du Tertre, les quais de Seine «entre le pont des Arts et le pont de Sully», les bords du canal Saint-Martin et l’avenue Trudaine. «J’ai observé, ces dernières semaines, que les ventes d’alcool provoquaient des regroupements devant les lieux de vente et des attroupements», expliquait le préfet, Didier Lallement.

Une intervention pour faire respecter les gestes barrières

De source préfectorale, le fondement légal de l'intervention était le «dernier alinéa de l'article L3136-1 du code de la Santé publique», qui autorise le préfet de police à «l'exécution d'office» de mesures spécifiques dans certaines circonstances, «en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie». Le cas échéant, les actions doivent être «strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu».

Concrètement, le décret du 29 octobre, modifié maintes fois, dispose, dans son article premier, que «les rassemblements, réunions ou activités sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public [...] mettant en présence de manière simultanée plus de six personnes sont interdits». En outre, «les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transport qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect» des mesures barrières, du port du masque et de la distanciation sociale.

Sur les photos prises sur les quais, on aperçoit deux types de situations : d’abord, des individus assis, en groupe, venus profiter du soleil. Certains ne portent pas de masque et on constate d’importants regroupements, souvent proches physiquement. Ensuite, d’autres personnes se promenaient sur les quais, en petits groupes ou seuls. Force est de constater qu’il y avait du monde et que les gestes barrières comme la distanciation n’étaient pas toujours respectés.

Des individus profitent du soleil sur les rives de la Seine, ce samedi. BERTRAND GUAY / AFP

Dans le cas d'espèce, les services du préfet «ayant constaté que les mesures d'hygiène et de distanciation physique» présentées dans l'article premier du décret du 29 octobre 2020 n'étaient «pas respectées par de très nombreuses personnes présentes sur les quais, l'évacuation est apparue comme la seule mesure à la fois adaptée et proportionnée» pour mettre fin rapidement à cette situation susceptible de propager l'épidémie. Et ce, dans un contexte où celle-ci ne cesse de s'étendre, dans la région, «du fait notamment du développement rapide de variants à la Covid-19 beaucoup plus contagieux que le virus initial», note-t-on à la préfecture.

Les forces de l'ordre ont donc pu agir, notamment sur la base du décret du 29 octobre, qui interdit les rassemblements importants, jugés propices à la propagation de l’épidémie et préconise le respect des gestes barrières. La mairie de Paris elle-même écrit d'ailleurs sur son site que, parmi les règles en vigueur, «les rassemblements sont interdits sur la voie publique». «Les mesures sanitaires prises pour lutter contre la propagation de la #COVID19 ne sont pas respectées sur les Quais de Seine», se justifiait au moment de l'intervention la préfecture sur Twitter, après avoir rappelé les règles dans plusieurs messages auparavant.

À LIRE AUSSI«Un État tracassier avec les citoyens paisibles, et faible avec les délinquants: jusqu’à quand?»

«Dès lors qu'on utilise un pouvoir de police, les décisions portent atteinte à des libertés fondamentales, commente maître Benjamin Ingelaere, avocat en droit public à Paris. Il faut donc que cela soit manifestement proportionnel, justifié, et en apporter une preuve», rappelle-t-il. La notion de «circonstances locales», qui expliquent cette atteinte à une liberté, est également importante pour prouver que l'action était «proportionnée par rapport au but poursuivi».

Ici, la combinaison des deux textes - le décret et le code de la Santé publique - se défend juridiquement, estime le juriste. Mais se pose alors une question éthique : leur combinaison ouvre la porte à des actions «éclairs» de la part des forces de l'ordre, difficiles à contester car menées dans l'immédiat et ne reposant pas sur un arrêté préalable. «On analyserait donc a posteriori la restriction des libertés et leur légitimité», souligne maître Ingelaere, pour qui la chose est «très critiquable du point de vue de l'équilibre entre sécurité et liberté».