Comment faire jouer la garantie décennale ?  

La construction immobilière, qu'elle soit individuelle ou collective, est soumise à un ensemble de garanties légales visant à protéger le maître.

 

Parmi ces garanties, la garantie décennale, prévue à l'article 1792 du Code civil, occupe une place centrale et présente de nombreuses similitudes avec le régime de la garantie biennale[1], ce qui s’explique par une forte volontée des législateurs de protéger davantage le consommateur dans les actes de constructions immobilières[2].

 

Comme pour la garantie de parfait achèvement sont tenus à garantie décennale les constructeurs et réputés constructeurs.

 

Les réputés constructeurs est une notion qui a une portée assez large puisque visant en réalité tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ; toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ; toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage.

 

Sont également tenus à garantie en application de l'article 1792-4 du code civil les fabricants d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage, ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance.

 

Le sous-traitants quant à eux sont exclus de ce régime de garantie[3].

 

La garantie décennale est d'ordre public, ce qui signifie qu'elle s'impose à tous, indépendamment des stipulations contractuelles.

 

Toutefois, les parties peuvent convenir de modalités spécifiques d'application ou d'exécution, à condition que ces modalités ne portent pas atteinte aux droits du maître d'ouvrage ou ne réduisent pas la portée de la garantie.

 

Une garantie couvrant les ouvrages de constructions immobilières.

 

Elle couvre les désordres affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination, survenant dans un délai de dix ans à compter de la réception des travaux.

 

La portée de la garantie décennale est vaste et englobe une multitude de constructions.

 

La garantie décennale s'applique à tous les ouvrages de bâtiment ou d'ouvrages d'art, y compris les ouvrages provisoires, les travaux de réparation et de transformation, ainsi que dans certaines conditions les travaux d'entretien et de maintenance.

 

La garantie décennale couvre les désordres affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. Les désordres couverts comprennent notamment les désordres affectant la structure de l'ouvrage, les désordres affectant les éléments d'équipement de l'ouvrage, ainsi que les désordres affectant les éléments d'étanchéité de l'ouvrage.

 

Que ce soit une construction neuve, une extension ou une surélévation, toute maison individuelle est couverte par la garantie décennale.

 

Les désordres affectant la structure, la toiture, ou tout autre élément vital de la maison entrent dans le champ de cette garantie.

 

Elle couvre également toutes les modifications substantielles d'une structure existante à condition que ces travaux présentent un caractère décennal.

 

Par exemple, l'ajout d'une véranda ou la transformation d'un grenier en espace habitable.

 

La Cour de cassation a eu l’occasion à plusieurs reprises de rappeler que des travaux importants de réhabilitation sont assimilables à la construction d’un ouvrage[4].

 

Enfin, il est désormais solidement établi qu’il n'est pas nécessaire qu'il y ait des édifices.

 

Ainsi les constructions telles que les piscines, les sous-sols, les garages souterrains ou les caves sont également concernées[5]. Tout défaut d'étanchéité ou de structure relève de la garantie décennale.

 

 

Ouvrage dont la solidité est compromise ou impropre à sa destination

 

Les dommages qui soumis à la garantie décennale sont ceux  qui répondent à l'un des trois critères suivants :

 

  • atteinte à la solidité de l’ouvrage;
  • impropriété à la destination de l’ouvrage;
  • atteinte à la solidité des équipements indissociables;

 

Il est important de souligner qu’en cas de contestation sur l’existence et la définition de l’un de ces critères lors d’un contentieux entre le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur, la gravité des désordres relève de l’appréciation souveraine des juges du fond[6].

 

La solidité est l'un des critères fondamentaux de tout ouvrage de construction. Tout désordre qui compromet cette solidité entre dans le champ de la garantie décennale.

 

Les causes peuvent être multiples. Un défaut de conception, comme une étude de sol insuffisante, une erreur lors de l'exécution des travaux, ou l'utilisation de matériaux de mauvaise qualité ou inadaptés, peuvent tous conduire à des désordres compromettant la solidité.

 

Il convient donc de s’interroger sur la notion de compromission de la solidité de l’ouvrage.

 

Les fissures, surtout lorsqu'elles sont profondes ou évolutives, peuvent menacer l'intégrité structurelle de l'ouvrage.

 

Elles peuvent être le signe de mouvements du sol, de tassements différentiels ou d'autres problèmes géotechniques.

 

Le garantie décennale vise ainsi les fondations qui sont la base de tout ouvrage. Un défaut à ce niveau peut entraîner des conséquences désastreuses pour l'ensemble de la construction.

 

Cette garantie vise également un sol instable ou un remblai inapproprié qui peut provoquer un affaissement, mettant en péril la structure.

 

Au-delà de la solidité, un ouvrage doit répondre à l'usage pour lequel il a été conçu. Tout défaut rendant l'ouvrage impropre à cet usage est couvert par la garantie décennale.

 

La garantie va ainsi couvrir les problèmes d'étanchéité, qu'ils concernent la toiture, les murs ou les fondations, peut rendre un logement inhabitable, causant des infiltrations, de la moisissure ou d'autres désagréments.

 

Une isolation défectueuse est également couverte par le garantie décennale dans la mesure ou elle peut entraîner une perte de chaleur, augmentant les coûts énergétiques et réduisant le confort des occupants.

 

Enfin elle peut couvrir certains éléments d'équipement indissociables. En effet, certains équipements, bien qu'ils ne fassent pas partie de la structure même de l'ouvrage, sont si étroitement liés à celle-ci qu'un vice les affectant rend l'ouvrage impropre à sa destination.

 

 

 Un vice affectant un élément d'équipement indissociable de l’ouvrage

 

La complexité des constructions modernes a conduit à une intégration croissante d'équipements variés directement dans la structure des ouvrages.

 

Ces éléments, bien que non structuraux, peuvent être si étroitement liés à l'ouvrage qu'ils en deviennent indissociables. La garantie décennale, reconnaissant cette réalité, s'étend à ces éléments d'équipement[7].

 

L'indissociabilité est une notion clé dans le cadre de la garantie décennale. Elle détermine si un élément d'équipement est couvert par cette garantie ou non.

 

Un élément est considéré comme indissociable si son retrait ou son remplacement endommagerait l'ouvrage ou affecterait son intégrité. Cela signifie que l'élément est si étroitement intégré à l'ouvrage qu'il ne peut être retiré sans causer de dommages.

 

L'inclusion d'éléments d'équipement indissociables dans la garantie décennale renforce la protection offerte au maître d'ouvrage.

 

Si un vice affecte un élément d'équipement indissociable, rendant l'ouvrage impropre à sa destination, la garantie décennale s'applique. Cela signifie que le maître d'ouvrage peut exiger que le vice soit rectifié à la charge du constructeur.

 

Face à un vice affectant un élément indissociable, l'entrepreneur est tenu de réparer ou de remplacer l'élément défectueux. Cette obligation s'inscrit dans le cadre plus large de son obligation de livrer un ouvrage exempt de vices décennaux.

 

 

Mise en œuvre de la garantie décennale.

 

L'action en garantie décennale se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux.

 

Il s'agit d'un délai d'épreuve et d'action : le désordre doit avoir été constaté et l'action engagée avant l'expiration de ce délai, il s’agit ici de conditions dites cumulatives, il convient donc d’être particulièrement vigilant à ce sujet.

 

Le délai de départ court à compter de la réception de l’ouvrage, avec ou sans réserve.

 

Le constructeur ou le vendeur d'ouvrages est responsable des désordres couverts par la garantie décennale, sans avoir à prouver sa faute.

 

Par ailleurs, le maître de l’ouvrage dispose d’une facilité de la preuve puisque l’article 1792 fait peser une présomption de responsabilités sur les constructeurs et réputés constructeurs.

 

En cas de désordres, le maître d'ouvrage doit adresser une lettre recommandée avec accusé de réception à l'entrepreneur pour le mettre en demeure de procéder aux réparations.

 

Si l'entrepreneur ne procède pas aux réparations dans un délai de deux mois, le maître d'ouvrage peut saisir le tribunal judiciaire pour obtenir la réparation des désordres.[8]

 

[1] C. civ., art. 1792 à 1792-7

[2] Loi du 4 janvier 1978 et législation postérieure

 

[3] Civ. 3e, 8 juill. 1971, Bull. civ. III, no 450 ; 2 oct. 1979, JCP 1979. IV. 460

[4] Cass. 3e civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996, n° 624 P

[5] Civ. 3e, 2 mars 1990, RDI 1990. 514 Civ. 3e, 12 juin 1991, RDI 1991. 348, Civ. 1re, 26 févr. 1991, no 89-11.563   , Bull. civ. I, no 75 ; 31 mars 1993, RJDA 11/93, no 894.

[6] CE, 21 avr. 2000, n° 190598

[7] C. civ., art. 1792 et 1792-2)

[8] Cass. civ. 3e, 27 novembre 2013, n° 12-24.459 : "Le délai de deux mois pour la réparation des désordres par l'entrepreneur court à compter de la réception des travaux, qu'elle soit avec ou sans réserves."